Au 19ème siècle, les immigrants germanophones constituèrent pendant plusieurs décennies le groupe le plus nombreux parmi les immigrants à Paris: plus de 80.000 Allemands y séjournaient autour de 1848. L'écrasante majorité était composée d'artisans, de journaliers, d'ouvriers non-qualifiés et de domestiques. "Travailleurs immigrés temporaires", ces Allemands vivotaient dans les quartiers pauvres de Paris, à la limite du minimum vital. "Ils étaient les Italiens de l'époque" (1), écrivait en 1906 la féministe allemande Käthe Schirmacher, pour mettre en évidence les transformations qu'avait subies la base sociale de l'immigration allemande en France (en 1906, les Allemands n'appartenaient plus aux couches inférieures de l'immigration: les Italiens, entre autres - les Juifs d'Europe orientale par exemple -, les avaient progressivement remplacés). La pauvreté et le manque d'intégration sont les deux grandes caractéristiques de cette immigration encore largement inconnue.

 Dans un même temps, de nombreux intellectuels, écrivains et artistes allemands, chassés de leur pays en raison de leurs convictions politiques, "choisissaient" l'exil à Paris. Bien sûr, ils représentaient une part infime de la "colonie allemande" (2%), mais souvent l'exil parisien de certaines personnalités, comme Heinrich Heine ^[1] , Ludwig Börne ^[2] , Arnold Ruge ^[3]  ou Karl Marx ^[4] , est resté célèbre. 

 La critique sociale formulée par ces émigrés allemands dans leurs journaux, leurs pamphlets et leurs tracts ou professée dans le cadre de leurs associations, constitua un lien étroit entre l'exil politique et l'immigration économique. 

 L'immigration des Allemands à Paris n'est pas un mouvement linéaire. Elle a varié en fonction des événements politiques et des relations franco-allemandes au 19ème siècle. Trois césures ont marqué son évolution: les révolutions de 1848/49, la guerre franco-allemande de 1870/71 et la Première Guerre mondiale. A chaque fois, la "colonie allemande" a chuté de manière quantitative, dans le premier cas à cause des retours volontaires, dans le deuxième et le troisième à cause des expulsions massives (2). 

Ces crises avaient des répercussions sur le nombre, la répartition, la vie, le travail, la visibilité et l'intégration des Allemands à Paris. Dans ces conditions, chaque phase de l'immigration est distincte des autres. Cette migration discontinue, marquée par des périodes de crise, de renouveau et de profonds changements, ne ressemble en rien aux autres phénomènes migratoires du 19ème siècle.

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Notes

1) Käthe Schirmacher, Die Ausländer und der Pariser Arbeitsmarkt, dans: Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik 27 (1908) pp. 234-259, 477-512.

2) Voir Mareike König (s.l.d.d.), Deutsche Handwerker, Arbeiter und Dienstmädchen in Paris. Eine vergessene Migration im 19. Jahrhundert, Munich 2003.