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'Prisonniers de guerre comme enjeux de la politique'
 
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Prisonniers de guerre comme enjeux de la politique

Outre l´aspect économique, le calcul politique a également joué un rôle déterminant, les prisonniers de guerre gardés en détention allemande étant un moyen de chantage contre le régime de Vichy. En effet, les efforts intensifs du régime de Vichy pour obtenir des concessions allemandes au sujet des prisonniers de guerre étaient une question de poids en politique intérieure, voire la raison d’être du régime de Vichy. Pétain, après la défaite française, avait fait le pari que la guerre était définitivement perdue au profit du Reich et qu´un traité de paix et ainsi le retour des prisonniers de guerre était imminent. Dans l´attente d´un partenariat sous tutelle allemande, il était prêt à collaborer avec les Allemands desquels il espérait pouvoir tirer des avantages pour les prisonniers de guerre. Ceux-ci furent cependant les premières victimes de cette politique. Pétain renonça par exemple à la protection des prisonniers de guerre français par les USA, puissance neutre prévue par la Convention de Genève, et en chargea Georges Scapini qui devint ainsi « Chef diplomatique des Prisonniers de Guerre ». La voie fut ainsi ouverte à d’ultérieures violations de la convention de Genève que dut entériner alors le régime de Vichy, à tout moment sous l´empire du chantage.

En contrepartie, les Allemands relâchèrent environ 100.000 prisonniers de guerre, en particulier ceux dont ils ne pouvaient tirer que peu de profit. En même temps, la valeur des prisonniers de guerre augmenta car ils pouvaient désormais être employés dans l´industrie d´armement, une infraction grave à la convention de Genève que les USA n´aurait pas tolérée. Après que le gouvernement de Vichy eut admis l´emploi des prisonniers de guerre dans l´industrie d´armement, il n´y eut pas non plus de protestations lorsque vers la fin de la guerre, des prisonniers de guerre français furent utilisés pour des travaux en rapport direct avec les combats. Il est vrai qu’alors Vichy était complètement à la merci de l´Allemagne. D´autres violations de la Convention de Genève concernent la protection anti-aérienne et la mise au travail d´officiers et de sous-officiers.

Avis de recherche concernant le général Giraud, général français échappé du camp de Königsberg
  

 

 

Source : GUÉRIN, Alain (éd.): La Résistance. Chronique illustrée. 5 tomes Paris: Livre Club Diderot 1972, tome 4, p. 324

L'évasion spectaculaire du Général Giraud le 17 avril 1942, accueillie avec sympathie par les prisonniers de guerre français, fut une des occasions qui fit sensiblement baisser l'estime des prisonniers de guerre pour Scapini, car celui-ci demanda publiquement à Giraud de se rendre et exigea des prisonniers français, pour lesquels s'évader de la détention allemande était un devoir patriotique, de s’abstenir de telles tentatives. Même si Scapini s´exprima ainsi pour des raisons tactiques, ses exhortations ne restèrent pas sans effet et créèrent une confusion parmi les prisonniers que les Allemands ne manquèrent pas d’exploiter. Ses efforts pour obtenir des prisonniers de guerre l´obéissance absolue envers le Maréchal Pétain et une confiance aveugle en la politique de son gouvernement furent ainsi compromis de manière durable. Ce travail idéologique fut pourtant une des activités les plus importantes de la mission Scapini, qui mit en place des « cercles Pétain » dans les camps dès l´été 1941, et nomma des « officiers-conseil » à partir de mars 1942 pour les différents Wehrkreise.

Seule une partie des prisonniers de guerre doit sa remise en liberté à la collaboration franco-allemande. En 1940 déjà, le côté français était prêt à reconnaître l´intérêt allemand pour la main-d’œuvre constituée par ce butin de guerre. Scapini lui-même fit la proposition de mettre à disposition des travailleurs qualifiés français en échange des prisonniers de guerre remis en liberté. Les Français auraient ainsi atteint des résultats visibles et auraient résolu de manière élégante un problème soigneusement caché à l’opinion publique. Devant un taux de chômage élevé, le régime de Vichy n´avait en effet aucun intérêt à un retour massif des prisonniers de guerre. Un échange contre des travailleurs civils semblait donc être la solution parfaite.

Cependant, la proposition française n’intéressait pas encore les Allemands en 1940, car, misant sur la réussite de la stratégie de la Blitzkrieg, ils ne considéraient pas comme urgent de trouver une solution durable au problème de la main d´œuvre. Ainsi l´idée de la « Relève » fut réalisée seulement en 1942, lorsque Laval la remit en jeu face à la réquisition forcée de main d´œuvre annoncée par Sauckel. L´arrivée, tout d´abord sur la base du volontariat puis sous la contrainte de centaines de milliers travailleurs civils, conduisit à la libération d´environ 90.000 prisonniers de guerre (sur un million de prisonniers restants), dont de nombreux malades ou blessés. Un effet « positif » de cette mesure fut que les camps de prisonniers furent “nettoyés” des collaborateurs les plus notoires, car les Allemands décidaient en fin de compte qui était inscrit sur les listes. D´un autre côté, le procédé semait la discorde parmi les prisonniers de guerre et l´espoir d´une éventuelle libération rendait sans doute une partie des prisonniers plus dociles.

Une autre idée lancée par Scapini en mai 1941 mais qui ne fut mise en œuvre par des Allemands qu´en 1943 fut la transformation du statut de 197.000 à 250.000 prisonniers de guerre en travailleurs civils. Elle était particulièrement avantageuse pour les Allemands: augmentation de leur productivité grâce à un surplus de motivation de la part des travailleurs qui recevaient un salaire de civil, économie de 30.000 soldats allemands affectés à la surveillance des prisonniers et possibilité d’utiliser ceux-ci sans scrupules dans l´industrie d´armement. Pour les prisonniers de guerre, la « transformation » signifiait certes la perte de la protection, déjà poreuse, de la convention de Genève mais en même temps des avantages matériels directs.

De manière générale, la politique collaborationniste de Vichy au sujet des prisonniers de guerre ne fut pas couronnée de succès car la signature d´un traité de paix entraînant la libération rapide et complète des prisonniers de guerre n’intervint pas. Le renoncement unilatéral de la part de Vichy à la protection par la convention de Genève qui acceptait de figurer soi-même comme puissance protectrice, alors qu’il se trouvait sous le chantage allemand fit des prisonniers de guerre restés en Allemagne des otages à la merci des Allemands et poussa le gouvernement de Vichy à une collaboration toujours plus active avec Hitler. La mise au travail des prisonniers de guerre et leur protection par la mission Scapini s’inscrivait ainsi dans le cadre politique de la collaboration d´Etat. Si les prisonniers politiques avaient placé d´abord de grands espoirs dans la politique de Pétain, le soutien idéologique au régime déclina chez la plupart dans la mesure où celle ci ne portait pas de fruits, et que la politique de collaboration devenait plus évidente. Cette distance s’accrut du fait de l’arrivée des nombreux requis de force qui ouvraient les yeux de leurs compatriotes prisonniers sur ce qui se passait en France.

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