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'Discours de Mitterrand'
 
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Discours prononcé par François Mitterrand, Président de la République française, devant le Bundestag à Bonn, le 20 janvier 1983

Qui aurait pu imaginer apres tant de combats, oui, qui aurait pu imaginer qu'un jour, dans ce dernier quart du XXème siècle, l'Allemagne et la France se retrouveraient non pas pour célébrer l'anniversaire d'une bataille, d'une trêve ou d'un traité de paix, mais celui de la réconciliation? Combien de temps, d'efforts, d'hommes ont été perdus dans ces affrontements, gagnés tantôt par l'un, tantôt par l'autre, victoires toujours éphémères, et qui condamnaient le vainqueur à construire sur le sang, le vaincu à rêver du temps de la revanche, guerres de peuples en mouvement ou en quête de leur sédentarité, guerres de religion, guerres de seigneurs, guerres fraticides, guerres de masses, guerres civiles ... Il a fallu les malheurs les plus cruels, de barbares dictatures, une France occupée, une Allemagne écartelée, une Europe divisée, dévastée, épuisée, pour que le refus de tels déchirements devint la volonté commune des Européens, oui, mais d'abord celle des Allemands et des Français.

Alors on s'interroge: Pourquoi cette sorte de régularité du malheur, qui avait fini par faire de nos deux peuples, vous l'avez dit M. le Président, comme des ennemis héréditaires, séparés par une haine inscrite dans la conscience populaire profonde? Et pourtant, même aux pires moments, il y eut à ces longs désastres un admirable contrepoint: les meilleurs de nos créateurs et de nos artistes ne cesserent jamais de réagir les uns aux autres, de composer les chapitres d'un dialogue presque unique, tour à tour déchirant, apaisant, toujours déterminant. Faudrait-il écrire ici le dialogue des ombres? Le dialogue des morts célèbres, qui marquèrent votre histoire et qui marquèrent la nôtre? Je ne citerai ici que Victor Hugo parlant en 1842 de l’Allemagne et de la France et qui employait l'expression, je cite »de connexions intimes« même de »consanguinité«. Il ajoutait: »l'union de la France et de l’Allemagne et ce serait la paix du monde«. L'évocation serait inépuisable, fleuve aux eaux mêlées certes, et qui emportera aux pires moments bien des esprits féconds. Mais il n'est pas de discipline, il n'est pas de domaine où la création française eut été aussi forte s'il n'y avait eu l'Allemagne, où la création allemande eut été aussi forte s'il avait eu la France. [...]

Il n'y a pas de fatalité. Et nos peuples le savent bien, eux, qui, aujourd'hui, considèrent que la paix est le bien le plus précieux, après que leurs parents, leurs grands-parents aient si souvent, sur le front, au fond des tranchées, dans la résistance, dans les camps, dans les armées de libération, rêvé du moment où la France et l'Allemagne, dans le respect mutuel, vivraient enfin en bonne entente. De ce rêve est issue la Société des Nations, puis l'Organisation des Nations Unies et la postérité retiendra que nos conflits ont engendré des institutions, des mécanismes de défense et de protection de la paix, et que s'il reste beaucoup à faire, au moins nos antagonismes auront-ils fait avancer l'idée d'un monde organisé. [...]

Et voici qu'après avoir donné le triste exemple de nations voisi­nes qui s'entredéchiraient, nous pouvons, en cette matinée, célé­brer une harmonie qui dure mainte­nant depuis plus de trente ans, un traité qui a vingt ans, qui peut ser­vir d'exemple partout dans le mon­de troublé et menacé qui est le nôtre.

20 Jahre deutsch-französische Zusammenarbeit, Bonn: Presse- und Informationsamt der Bundesregierung 1983, S. 11-15

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