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Indications concernant l'interprétation: période de 1871 à 1918

A. Manuels scolaires allemands
Pour la période de l'appartenance de l'Alsace et de la Lorraine à l'Empire allemand, la justification de l'annexion n'est globalement pas mise en doute: résultant d'une guerre des superlatifs, elle est considérée comme la restitution de territoires allemands et le rétablissement de la "frontière occidentale naturelle" (Source 1 [1] ). Les réticences de la population alsacienne et lorraine sont parfois mentionnées, mais non vraiment traitées; l'évocation de l'agitation revanchiste en France sert également plutôt à éveiller des sentiments de méfiance envers le voisin qu'à justifier l'annexion (Source 2 [2] ). Les manuels abordent rarement les problèmes de droit constitutionnel de la Terre d'Empire au sein de l'Empire allemand ou les liens étroits des Alsaciens et des Lorrains avec la France. Quelques manuels font pourtant aussi montre de critique envers la consistance politique du concept "objectif" de nation et l'opportunité des mesures politiques dans la Terre d'Empire (Source 3 [3] ).

B. Manuels scolaires français

Les manuels français de cette période sont fortement marqués, du moins dans les décennies suivant la guerre, par l'argumentation historique de l'Allemagne; ils considèrent bien sûr que l'acquisition française des territoires jouit de l'adhésion de la population. Le concept contemporain d'autodétermination est appliqué ici au passé, l'annexion apparaissant comme une double injustice. Le désir de revanche qui s'en dégage est encore émotionnellement renforcé par la description détaillée des crimes perpétrés, procédé volontiers utilisé pour justifier moralement le réarmement militaire (Source 4 [4] ). Les textes de civilisation proposés par les manuels visent à cultiver la mémoire des territoires perdus et cherchent à établir le caractère "français" de la culture (Source 5 [5] ). Pendant toute cette période, les manuels exploitent tous l'idée de revanche, en utilisant généralement des formules qui font appel aux émotions - aussi bien dans les manuels du secondaire (Source 6 [6] ) que du primaire (Source 7 [7] ).
Le style sobre du manuel d'Albert Malet, nouvellement paru à l'époque, n'est pas moins efficace. Cet ouvrage considère l'annexion comme une violation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et y voit un trait de caractère de l'Empire allemand. Le traité de Francfort apparaît ici encore comme un accord provisoire - un armistice qui devrait être suivi par une nouvelle guerre (Source 8 [8] ). Les manuels français ont grandement contribué à la "mobilisation littéraire" [9] de 1914.

Indications concernant l'interprétation: période de 1918 à 1945

A. Manuels scolaires allemands
Après la rétrocession de l'Alsace et de la Lorraine à la France, le désir de revanche de la France est satisfait, mais le problème persiste, l'Allemagne reprenant à son tour l'idée de revanche. Les manuels scolaires préparent le terrain en soulignant l'appartenance de la population à l'Allemagne et en attribuant l'échec de la politique d'assimilation entre 1871 et 1918 aux erreurs politiques commises par l'Empire allemand (Source 9). Cette idée obsessionnelle de "germanisation" se retrouve également à l'époque de la République de Weimar, et les manuels scolaires allemands entrent en campagne contre la perte de l'Alsace et de la Lorraine, tout comme les manuels français l'avaient fait antérieurement (Source 10). Ils utilisent les mêmes stéréotypes de "la blessure qui saignera toujours (voir source 3) ou de "la France mutilée" (voir plus bas source 18a), parlant également d'un "territoire national mutilé" dont les frontières doivent être remaniées. Cette idée est véhiculée pendant la République de Weimar par d'innombrables ouvrages consacrés aux Allemands vivant dans les territoires frontaliers et à l'étranger (Grenz- und Auslandsdeutschtum) [10]: "Sur notre territoire national mutilé vit aujourd'hui un peuple qui prend de plus en plus conscience que les frontières de notre État ne coïncident pas avec les territoires qu'il habite" (Volkstum) (Source 11).

Des ouvrages de ce type sont recommandés comme lecture complémentaire dans l'enseignement scolaire, ainsi que les poèmes qui glorifient de façon mystique la guerre de 1870 et l'unification de "l'Allemagne" impériale, les provinces annexées étant décrites comme des joyaux accompagnant la robe de mariée (Source 12 [9] ). Tout comme elle s'était ancrée en France après 1871, l'image de l'ennemi s'est ravivée en Allemagne après 1918. En réaction au traité de Versailles de 1919, Franz Schnabel approuve sans restriction la décision de Bismarck en 1871, et lui aussi attribue l'échec de la politique de l'Empire face à l'Alsace et à la Lorraine aux erreurs commises par le gouvernement (Source 13a [10] ).

L'identification avec la tradition de la politique allemande est cultivée à un tel point qu'on n'accorde pas au gouvernement français, après 1918, le droit de mener la même politique que l'Allemagne, qui avait interdit en 1871 un référendum en Alsace et en Lorraine (Source 13b [11] ). L'état de fait de 1918 ne peut qu'apparaître provisoire aux yeux des Allemands. Les manuels scolaires nazis parus après les réformes des programmes d'enseignement de 1937/38 [11] mettent expressément en parallèle les traités de paix de 1871 et de 1919 (Source 14a [12] ). L'annexion de 1871 est mise en rapport avec le "combat pour le territoire national aux frontières de l'Empire" (Source 14b [13] ); en conséquence, le "diktat" de Versailles équivaut au "vol du sang et du sol allemand" (ibid, p. 180). Un leitmotiv de ces manuels consiste à réduire les relations internationales, en les simplifiant à l'extrême, mais avec d'autant plus d'effet, à la prétendue politique d'encerclement de l'Allemagne par les puissances occidentales: l'élargissement de "l'espace vital" à l'ouest apparaît donc comme une libération de la "pression exercée par la France" (Source 15a [14] ).

L'évolution politique dans l'ancienne Terre d'Empire est expliquée en détail, et l'échec de l'assimilation de la population est présentée d'une façon irrationnelle (Source 15b [15] ). Les manuels des lycées et des écoles primaires condamnent le vote de Bebel et de Liebknecht contre l'annexion comme un "crime de trahison" (Sources 16 [16] et (17 [17] ).

B. Manuels scolaires français
Après la Première Guerre mondiale, le manuel de Malet déjà évoqué plus haut est réédité. Le texte cité (Source 8 [18] ) est maintenu, et simplement mis au passé - seule la dernière phrase est rallongée: "[...] jusqu'à ce qu'enfin, en 1918, la victoire de la France et de ses alliés ait assuré la revanche du Droit". Ce manuel est bientôt remplacé par une nouvelle édition de Jules Isaac, qui repose en fait sur une nouvelle conception. Isaac traite en profondeur les motifs qui ont poussé les Allemands à l'annexion et les confronte aux protestations des députés d'Alsace et de Lorraine (Source 18a [19] ), il ajoute un long passage sur les relations franco-allemandes au XIXe siècle extrait d'un manuel scolaire allemand (pp. 272-274). Le livre scolaire traditionnel est élargi pour devenir un ouvrage combinant manuel et cahier d'exercice. L'histoire de la Terre d'Empire y occupe une place importante (Source 18b [20] ). Cette présentation détaillée de la question de l'Alsace et de la Lorraine poursuit probablement un double objectif: d'une part démontrer que la rétrocession de l'Alsace et de la Lorraine à la France était justifiée, à une époque où les relations franco-allemandes étaient très tendues en raison du traité de Versailles, et d'autre part, livrer aux élèves des informations de fond sur le point de vue allemand et sur l'évolution de la Terre d'Empire.

Indications concernant l'interprétation: période de 1945 au temps présent

A. Manuels scolaires allemands
Les présentations de l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine dans les manuels scolaires allemands divergent considérablement, aussi bien en ce qui concerne le nombre de pages qui lui sont consacrées que le contexte dans lequel elle est replacée. L'importance quantitative de l'événement se réduit nettement en fonction de son éloignement dans le temps. Certains manuels ne mentionnent plus que l'annexion elle-même, sans autres explications. Cette tendance est sans doute à mettre en rapport avec le fait que l'importance du thème dans les manuels scolaires diminue parallèlement à l'amoindrissement du potentiel conflictuel politique. Mais cette explication ne vaut que partiellement, car quelques manuels récents consacrent plusieurs pages à l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.

Le thème est traité également sous forme de cartes et de sources écrites, plus rarement d'illustrations. Dans le contexte du rapprochement franco-allemand après la Seconde Guerre mondiale, les manuels se distancient prudemment du discours de légitimation de l'annexion qui était en cours jusqu'en 1945 (Source 19a [21] ), l'image de l'ennemi héréditaire est révisée et relativisée (Source 19b [22] ). Les manuels s'en tiennent certes encore au concept de peuple allemand (Deutschtum) dans la Terre d'Empire, mais soulignent les liens politiques unissant l'Alsace et la Lorraine à la France (Source 20 [23] ). Les notes de protestation des députés alsaciens et lorrains sont parfois citées (Source 21 [24] ); les manuels replacent l'annexion dans un contexte de politique extérieure (Source 22a [25] ). Quelques incorrections apparaissent parfois: que Bismarck n'ait pas voulu l'annexion (Sources 22b [26] ), ou bien qu'il y ait consenti seulement sous la contrainte (Source 23 [27] ), ne peut qu'être réfuté par la recherche scientifique [12]. Les manuels scolaires des dernières décennies, en particulier les plus récents, présentent bien le fait que l'annexion a sérieusement hypothéqué les relations franco-allemandes et rendu impossible toute réconciliation, parce qu'elle s'est faite contre la volonté de la population concernée et que le désir de revanche de la France n'a cessé de s'exprimer (Source 24 [28] ). La France a en conséquence été perçue comme "l'incarnation de l'ennemi extérieur" (Source 25 [29] ). L'illustration de la classe d'école française montre les provinces perdues d'Alsace et de Lorraine, avec en légende cette phrase: "Tu seras soldat", exhortation de l'enseignant qui appelle ses élèves à reprendre bientôt ces provinces.

Les manuels allemands abordent les différentes positions et réactions des Allemands face à l'annexion. La plupart des Allemands de l'époque approuvent l'annexion, allant quelquefois jusqu'à la saluer de façon enthousiaste, ou même, à la revendiquer (lettre du roi de Prusse); seule une minorité, essentiellement composée de sociaux-démocrates et de libéraux de gauche, l'a vivement désapprouvée (discours de Wilhelm Liebknecht) (Source 26 [30] ); Bismarck lui-même a publiquement plaidé en faveur d'une politique pondérée envers la population de la Terre d'Empire (Source 28 [31] ).
Seuls les manuels les plus récents comportent à nouveau des présentations plus détaillées de l'évolution de la Terre d'Empire de 1871 à 1918. Il convient de mentionner ici le manuel "Geschichtsbuch", dont un long passage est consacré aux chances d'intégration de la population de la Terre d'Empire dans l'Empire allemand (Source 29 [32] ), et aussi en particulier, le chapitre du manuel "Geschichte und Geschehen" intitulé "L'Alsace - une région entre deux nations" (Source 30 [33] ).

B. Manuels scolaires français
Comme le "Malet" pour la Première Guerre mondiale, le "Malet-Isaac" a "survécu" à la Seconde Guerre mondiale. A la différence des éditions de l'entre-deux-guerres (cf. source 18), l'édition de 1953 est considérablement écourtée: les extraits du manuel scolaire allemand et la description de la politique de germanisation de la Terre d'Empire ont été éliminés ou du moins abrégés. On a remplacé l'illustration montrant le bombardement de la ville de Strasbourg par la fameuse proclamation de l'Empire allemand dans la galerie des Glaces à Versailles (p. 169). La pluralité des perspectives a cependant été retenue. Tout comme les manuels allemands, bien que dans une moindre mesure, les manuels français récents ont tendance à condenser les contenus (Source 31 [34] ). Ceci est dû sans doute au fait que l'Alsace et la Lorraine ont de nouveau été rattachées à la France à l'issue de la Seconde Guerre mondiale et que les manuels veulent sensibiliser les élèves à l'histoire particulièrement douloureuse vécue par les habitants de ces territoires. De nombreux textes de manuels scolaires adoptent un langage très émotionnel: on y parle de "la France mutilée" (Hachette 1976, 3e, p. 125), de "territoires de dialectes germaniques mais français de coeur" (Belin 1979, 1e, p. 104); une illustration montre une jeune Alsacienne habillée de noir, avec en légende: "1871, l'Alsace en deuil" (Hachette 1998, Histoire/Géographie/Education civique 4e, p. 78); l'Empire allemand nouvellement fondé "incorpore les Alsaciens et les Lorrains arrachés à la France" (Belin 1993, Histoire 2e, 186); la France est un "pays meurtri par la perte de l'Alsace-Lorraine [...]" (ibid, p. 190).

Les manuels français présentent Bismarck comme le seul et unique responsable de cette catastrophe nationale. Il est omniprésent dans les textes et les illustrations. L'Empire allemand est forgé "par le fer et le sang", et Bismarck en est le forgeron. Son nom revient en anaphore au début de chaque paragraphe: "Pour Bismarck, il n'y a pas de place pour deux en Allemagne"; "Bismarck entraîne l'Autriche dans une guerre contre le Danemark"; "Bismarck entraîne la France dans la guerre" (Belin 1988, Hist/Géo 4e, p. 140). Sous le titre "Abattre la France" est cité un passage d'un discours de Bismarck (sans référence précise), dans lequel ce dernier émet un jugement méprisant sur les Français (Source 32, in: ibid. [35] ). On retrouve cette citation, dont l'authenticité n'est pas assurée [13], dans l'édition de 1994 du même éditeur (p. 139), jointe à un virulent portrait de Bismarck: l'auteur du manuel scolaire le décrit comme un réactionnaire alcoolique, querelleur et violent, un Prussien fanatique (Source 33 [36] ). Pratiquement tous les manuels soulignent le caractère violent de la politique de Bismarck (par ex. Hachette 1997, Histoire 1e, p. 125: "[Bismarck] oeuvre avec énergie, et même avec une certaine brutalité, au renforcement de la puissance de la Prusse, utilisant le nationalisme allemand et les aspirations à l'unité allemande pour accroître l'influence de son pays."). Quel contraste entre cette image de Bismarck négative et partiale des manuels scolaires français et celle nuancée des manuels allemands! Il suffit de comparer par ex. la source 28 avec le discours du Parlement allemand (Reichstag) du 27 mai 1871, prononcé par un Bismarck pondéré qui se montre très conscient de la sensibilité particulière des Alsaciens et des Lorrains. S'agit-il de la même personne? Réduire un processus historique complexe en le rattachant radicalement à une seule personne, comme le font les manuels français, est-il légitime d'un point de vue scientifique et pédagogique?

Tous les manuels français soulignent le caractère français des provinces annexées. La protestation des députés alsaciens au Parlement allemand, en 1874, est souvent mentionnée (par ex.: Bordas 1987, Histoire 2e, pp. 200-201). On ne donne guère de chance à la politique d'intégration et d'assimilation du gouvernement de l'Empire allemand: la vive résistance dont ont fait preuve les Alsaciens et les Lorrains au départ a cédé peu à peu la place à une adaptation plutôt résignée, pour s'exacerber de nouveau, après leur déception face à l'autonomie selon eux insuffisante qui leur est accordée en 1911 (Belin 1981, 2e, p. 239). Le dossier de 1997 sur la "Vie politique et germanisation en Alsace-Lorraine (Source 34 [37] ) a des formulations moins catégoriques (Hachette 1997, Histoire 1e, pp. 150-151). On y a manifestement tenu compte des travaux de recherche les plus récents, qui font apparaître que les habitants de la Terre d'Empire ont évolué avec le temps, adhérant toujours plus à l'Empire allemand [14].

Tout comme la résistance des Alsaciens et des Lorrains face à la germanisation de la Terre d'Empire, le désir de revanche français est présenté dans les manuels scolaires comme la constante essentielle de l'opposition entre Allemands et Français. L'annexion a créé un "antagonisme de quarante-huit ans" (Bordas 1978, 3e, p. 125; voir aussi Belin 1979, 1e, p. 124), la France était "assoiffée de revanche" (Belin 1994, Hist./Géo, p. 168). L'armée et l'école cultivaient et servaient l'idée de revanche: "L'armée, instrument de la revanche possible" (Bordas 1983, 4e, p. 152 et p. 160). "L'opinion publique française n'a en effet jamais accepté la perte de l'Alsace-Lorraine: les instituteurs en rappellent constamment le souvenir à leurs élèves", puis suit la référence à l'illustration déjà mentionnée (Scf. source 25 [38] ) d'une "classe dans une école primaire en France avant 1914", avec la carte et les provinces perdues ainsi que le slogan "Tu seras soldat" sur le tableau. Les élèves doivent répondre aux questions suivantes: 1. Quelle région est en noir sur la carte de France? 2. Pourquoi ces élèves feront-ils un jour leur service militaire? (Hachette 1992, 4e, pp. 186-167). L'image d'un enfant dormant dans son berceau, avec comme jouet un soldat sur son oreiller, illustre l'efficacité d'un tel endoctrinement dès le plus jeune âge (Bordas 1993, Hist./Géo 4e, p. 141) [15]. Pierre Guibbert a très bien montré dans une étude sur "Les écoles de la Revanche" que la revanche constituait un thème essentiel dans les matériels d'enseignement de toutes les matières de l'école primaire entre 1871 et 1914. Ce constat concorde avec celui d'une monographie populaire sur l'Alsace: "Pour la France, la question de l'Alsace-Lorraine restera posée tout au long de la période jusqu'au déclenchement de la Première Guerre mondiale." [15]. L'énoncé suivant, qui émet un jugement différent, sans toutefois le développer, constitue une exception: "Au début du siècle, le contentieux entre la France et l'Allemagne porte moins sur l'Alsace-Lorraine - les Français paraissent se résigner à cette perte - que sur le Maroc, disputé par les deux pays." (Belin 1997, Histoire 1e, p. 124).

Tenant compte des recherches récentes, les nouveaux manuels scolaires opèrent une prudente réévaluation de l'attitude des habitants de la Terre d'Empire vis-à-vis de l'Empire allemand, de la position des Français face à l'idée revanche, mais aussi du concept de nation. Tandis que dans les anciens manuels, le concept français de la nation était présenté de façon unilatérale à l'aide d'extraits de textes de Fustel de Coulanges et de Renan (cf. par ex. Belin 1987, Histoire 2e, p. 196), les nouveaux manuels proposent également la position allemande - ce qui constitue une étape vers la présentation plurielle d'un thème controversé. "Sur quels points s'opposent les conceptions françaises et allemandes de la nation?" (source 35: Bordas 1997, Histoire 1e, pp. 132-133). On y trouve aussi la conception constructiviste de la nation vue comme une "communauté imaginée", p. 132. - cf. également Belin 1997, Histoire 1e, p. 102: "Conception allemande, conception française" (de la nation).

Les présentations des manuels scolaires français sont organisées suivant l'histoire des relations entre la France et l'Allemagne. Une dernière source servira à l'illustrer. Il s'agit d'une caricature de Hansi, "Touristes allemands dans un village d'Alsace" (Source 36), qui montre les Allemands dans un accoutrement grotesque, comme les éternels étrangers, raillés et au fond méprisés par les Alsaciens [16]. Elle est la quintessence d'un regard particulier porté sur l'histoire des relations entre les deux pays qui perdure encore et devrait faire l'objet d'une analyse critique. Rares sont les présentations de l'évolution interne des territoires annexés, en particulier vue sous l'angle des Alsaciens et des Lorrains eux-mêmes. Il faut pour cela faire à nouveau appel à la monographie déjà mentionnée plus haut, "l'Alsace, une histoire", une présentation intégrale de l'histoire de l'Alsace, de la préhistoire au temps présent, qui n'est cependant pas un manuel scolaire à l'usage des élèves. Les manuels scolaires ne posent pas la question essentielle, à savoir pour quelles raisons l'adhésion des Alsaciens et des Lorrains à l'Empire allemand a échoué. Les manuels partent au contraire du fait que cette adhésion était de bout en bout vouée à l'échec (voir plus haut). "L'Alsace, une histoire" partage aussi ce point de vue. Ce tabou répond-il à la nécessité d'une political correctness?

Sources

  1. Cf. par ex. Jean-Baptiste Duroselle, Die europäischen Staaten und die Gründung des Deutschen Reiches, in: Th. Schieder/E. Deuerlein (dir.), Reichsgründung 1870/71. Tatsachen, Kontroversen, Interpretationen, Stuttgart 1970, p. 386-421. Duroselle y exprime l'hypothèse que Napoléon III. aurait agi comme Bismarck en cas de victoire et aurait revendiqué une extension territoriale à la frontière occidentale de la France.
  2. Hans-Ulrich Wehler, Krisenherde des Kaiserreichs 1871-1918. Studien zur deutschen Sozial- und Verfassungsgeschichte, Göttingen 1970; darin die Aufsätze: "Unfähig zur Verfassungsreform: Das ,Reichsland' Elsaß-Lothringen von 1870 bis 1918" und "Symbol des halbabsolutistischen Herrschaftssystems: Der Fall Zabern 1913/14 als Verfassungskrise des Wilhelminischen Kaiserreichs". - Über Bismarcks Einstellung zur Annexionsfrage und eine längere Kontroverse in der HZ resümierend: Lothar Gall, Das Problem Elsaß-Lothringen, in: Th. Schieder/E. Deuerlein (dir.), Reichsgründung 1870-71 (voir note 1), p. 366-385.
  3. Sur la recherche des dernières 25 années, voir la contribution de Kai Drewes dans le cadre de ce projet: Le problème de l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine comme objet de recherche en France et en Allemagne de 1876 à 2001.
  4. Deutsch -französische Vereinbarung über strittige Fragen europäischer Geschichte, in: Internationales Jahrbuch für Geschichtsunterricht, Braunschweig, vol. 11/1953, p. 78-93.
  5. Verpflichtender Wortlaut der Einigung der deutschen und französischen Geschichtslehrer über die Entgiftung der Lehrbücher [1935], Nachdruck in: Internationales Jahrbuch für Geschichtsunterricht vol. 1/1951-52, p. 46-64. Sur l'histoire des colloques franco-allemands sur les manuels scolaires, voir : Rainer Riemenschneider: Verständigung und Verstehen. Ein halbes Jahrhundert deutsch-französischer Schulbuchgespräche, in: Hans-Jürgen Pandel (dir.): Verstehen und Verständigung. Jahrbuch für Geschichtsdidaktik 1990, Pfaffenweiler 1991, p. 137 - 148.
  6. Voir source 18. - Cf. aussi Otto-Ernst Schüddekopf, 20 Jahre Schulbuchrevision in Westeuropa 1945-1965 (Schriftenreihe des Internationalen Schulbuchinstituts, vol. 12) Braunschweig 1966, p. 53 et 77. Isaac lui-même a émis quelques réflexions à ce sujet lors du colloque franco-allemand d'historiens d'Aix-en-Provence, en 1961: Retour sur le passé, in: Bulletin de la Société des Professeurs d'histoire et de géographie de l'Enseignement public 52/1961, p. 155-162.
  7. in: Internationale Schulbuchforschung. Zeitschrift des Georg-Eckert-Instituts, vol. 1/1979, N° 1, p. 64-79.
  8. Ce bilan confirme les résultats de l'étude comparée de Dieter Tiemann, Die Vorgeschichte des Krieges von 1870/71 in deutschen und französischen Schulgeschichtsbüchern, Diss. phil (Masch) Wuppertal 1976, cf. en particulier p. 302 et suiv.; impression partielle: Die Vorgeschichte des Krieges von 1870/71 im französischen Schulgeschichtsbuch, in: Internationales Jahrbuch für Geschichts- und Geographie-Unterricht XVIII/1977-78, p. 50-102.
  9. Marieluise Christadler, Kriegserziehung im Jugendbuch. Literarische Mobilmachung in Deutschland und Frankreich vor 1914, Francfort/Main 1978.
  10. Sur ce sujet, voir : Rainer Ohliger, Representing the National Other: Textbooks and the formation of ethno-national identity in Germany 1871-1945, in: ISBF 21 (1999), p. 103-124.
  11. Cf. sur ce sujet mon article : Le discours historique nazi et les manuels d'Histoire du IIIe Reich, in:Tréma, Revue de l'IUFM de Montpellier N° 14 (1998), p. 68-89.
  12. Pour plus de détails, voir plus haut Lothar Gall, note 2.
  13. L'origine de la source est vagement désignée par "Bismarck, Discours". Elle a pu être identifiée grâce aux recherches de Rainer Bendick (Fondation Bismarck/Friedrichsruh). Elle est imprimée dans les Tagebuchblätter de Moritz Busch, vol. 1: Graf Bismarck und seine Leute während des Krieges mit Frankreich 1870-71 bis zur Beschießung von Paris, Leipzig 1899, p. 200, en date du 16 septembre 1870. L'origine est douteuse : il n'est pas certain que Bismarck se soit exprimé ainsi. Lorsqu'il parlait en public, il tenait en tout cas un tout autre langage.
  14. Sur ce sujet, voir la contribution de Drewes dans le cadre de ce projet.
  15. L'Alsace une histoire, sous la dir. de Bernard Vogler, Strasbourg (Oberlin) 1994, 5e édition, p. 148.
  16. "L'histoire, pour Hansi, n'a pas pour but d'expliquer ou de retracer le passé, mais de dire du passé ce qui le réconforte. Et, ce qui le réjouit et le met en verve, c'est le désir obsessionnel de ridiculiser l'Allemand, de le pourfendre, de le bouter - et de chanter la France." (Marc Ferro, Histoire de France, Paris 2001, p. 518.

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