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'L'Allemagne "normalisée" peut s'identifier à sa Constitution'
 
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L'Allemagne "normalisée" peut s'identifier à sa Constitution

Si l'on considère la culture politique allemande d'aujourd'hui, il y a, me semble-t-il, un élément qui prête à réflexion et qui semble constituer une rupture avec le passé et avec les fondements du concept de la nation. La conscience collective d'avoir non seulement déclenché deux guerres mondiales, mais aussi de les avoir perdues, a brisé pour de bon l'idée d'une "supériorité culturelle" allemande. Ceci a donc détruit le consensus sur lequel pouvaient se baser l'Empire germano-prussien ainsi que l'expansionnisme et le racisme biologique des nazis. Il en résulte un scepticisme, fortement ancré dans une large partie de la population, envers le militarisme qui fut jadis la colonne vertébrale de l'État national. Ceci me semble être démontré par l'envergure que prend de temps en temps le mouvement pacifiste, par le droit de refuser le service militaire et par le fait que, parallèlement aux efforts gouvernementaux pour ramener militairement l'Allemagne sur la scène internationale, le nombre des objecteurs de conscience s'accroît fortement. En ayant accepté les résultats de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne semble être enfin devenue une puissance "normale" en Europe.

Fig. 7

La structure territoriale de l'Allemagne depuis 1989

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source internet [1]

Cette "normalisation" et l'identification des citoyens allemands avec leur Constitution [2] , ainsi que l'acceptation définitive des frontières de la République fédérale, rendent possible l'abandon des vieux concepts de la nation allemande, comme notamment sa définition par le sang ou par la culture, ou encore l'irrédentisme basé sur la langue. C'est justement sur cette base que la réforme du code de la nationalité semble trouver un consensus assez large dans la population. Comme le postule Jürgen Habermas [3] (6), le concept de l'égalité devant le droit, basé sur la Constitution, devrait permettre l'intégration des immigrés sans leur demander d'abandonner leur culture. L'acceptation et le respect de la Constitution sont des préconditions nécessaires à une intégration, et elles forment la base d'une culture politique commune à tous les citoyens et citoyennes, indépendamment de leur origine et de leurs coutumes. Si cette condition est remplie, on peut se passer de demander une assimilation qui postulerait aussi l'abandon de mœurs ou de coutumes spécifiques : "L'intégration politique […] ne justifie pas l'assimilation forcée au profit de la vie culturelle qui domine dans le pays. Dans l'État de droit, cette alternative implique que l'identité de la société - à laquelle on se réfère légitimement - n'est pas prémunie à long terme contre des changements induits par des vagues d'immigration. Parce que les immigrés ne doivent pas être forcés d'abandonner leurs propres traditions, il est possible qu'avec ces modes de vie nouvellement établis s'élargisse aussi le cadre dans lequel les citoyens interprètent leurs principes constitutionnels communs. C'est alors que fonctionnera ce mécanisme qui fait qu'avec une composition culturelle changée par des citoyens actifs, changera aussi le contexte auquel se réfère le concept d'identité ethnique et politique de la nation tout entière." (7)

 C'est en ce sens qu'en Allemagne, après cent ans de recherches autour du concept de la nation, s'ouvre la perspective de faire de celle-ci un projet politique, comme cela a été le cas en France depuis la Révolution. La nation deviendrait alors, selon la célèbre phrase d'Ernest Renan [4] , un plébiscite de tous les jours. 

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Notes

(6) Jürgen Habermas, Die Einbeziehung des Anderen. Studien zur politischen Theorie, Frankfurt, 1997.

(7) op. cit., p. 268. (traduction de l'auteur)