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'Dettes d'État et privilèges fiscaux'
 
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Dettes d'État et privilèges fiscaux

Le montant colossal des dettes d'État constitue la plus lourde hypothèque à laquelle Louis XIV [1] se vit confronté lorsqu'il monta sur le trône. Ces dettes, qui remontaient aux dernières décennies du règne de Louis XIV et étaient à mettre sur le compte de la politique guerrière de ce dernier, avaient constamment augmenté durant le règne de Louis XV, en particulier en raison de guerres qui avaient causé de grandes pertes, ainsi que du grand luxe déployé à la Cour et d'ambitieux projets de construction. Elles continuèrent de croître sous Louis XVI, car l'engagement de la France dans les Guerres d'Indépendance d'Amérique du Nord aux côtés des États-Unis (1778-1783), qui était en soi très honorable et renforça son prestige sur l'échiquier politique, ne fit qu'aggraver la situation financière du royaume, à tel point que le déficit annuel finit par représenter près de la moitié de la totalité des recettes publiques annuelles. Le programme de réformes ne se limitait nullement à des mesures visant à éponger ces dettes, mais avait pour objectif une profonde réorganisation de l'État. Car les deux premiers ordres constitués par le clergé et la noblesse, qui comptaient respectivement à la veille de la Révolution 130.000 personnes et 25.000 familles rassemblant 140.000 personnes, face à 24 millions de Français appartenant au Tiers-État - de facto neuf dixièmes de la population de la France -, détenaient 10 % (clergé) et 30 % (noblesse) des terres, contre 60 % pour la bourgeoisie et la paysannerie.

Carte des gabelles dans l'Ancien Régime. Cet impôt sur le sel faisait partie des impôts les plus impopulaires de la France pré-révolutionnaire
Source Internet [2]

Le Tiers-État ne présentait pas de structure socio-économique homogène. Dans le contexte de l'essor économique français, qui, malgré les déficits fiscaux dont souffrait le pays au XVIIIe siècle, avait pris une telle ampleur que le commerce extérieur avait par exemple quadruplé entre 1715 et 1789, une bourgeoisie aisée s'était développée au sein du Tiers-État. Cette nouvelle couche sociale, composée d'industriels, de banquiers et de "traitants" (chargés par l'État du recouvrement des impôts), surpassait souvent la noblesse, ce qui s'exprimait fréquemment par un sentiment accru de sa propre valeur. Cette conscience de soi, que la situation économique justifiait, ne pouvait cependant trouver sa juste reconnaissance, en raison des structures établies par l'Ancien Régime. En effet, le clergé et la noblesse bénéficiaient des plus grands privilèges; ces deux ordres détenaient en particulier le monopole des fonctions publiques et jouissaient de l'immunité fiscale (ils étaient par ex. exemptés du principal impôt [3] direct, la taille, impôt sur le revenu et impôt foncier). Le Tiers-État réalisait donc constamment combien il était privé de droits et socialement défavorisé.

Dans l'Ancien Régime, les charges fiscales étaient inégalement réparties. Tandis que les deux premiers ordres, le clergé et la noblesse, bénéficiaient de considérables privilèges, le Tiers-État était littéralement écrasé sous le poids des impôts, comme l'illustre cette caricature de l'époque.

Source Internet [4]

Par ailleurs, le statut économique de la petite bourgeoisie ne cessa de se détériorer au cours du XVIIIe siècle, parce que les salaires stagnaient, tandis que les prix augmentaient progressivement, une évolution qui dévoilait toujours plus les déficiences d'un système fiscal complètement dépassé, marqué par de fréquents abus de gestion - comme dans le cas de la très impopulaire gabelle [5] -, et qui ne fit qu'empirer encore en raison de la grave crise agricole et industrielle affectant le pays dans les années 1780. Cette évolution catastrophique s'inscrit clairement dans un contexte d'échec flagrant des vastes réformes des années 70 et 80.

Ces réformes avait été initiées dès l'accession au trône de Louis XVI, en 1774, par le premier et le plus remarque ministre des Finances du roi, Anne Robert Jacques Turgot. S'inspirant de la doctrine des physiocrates [6] , Turgot ne se contenta pas d'engager des mesures d'économie en vue de réduire le considérable déficit fiscal de l'État, mais œuvra également pour la mise en place d'un absolutisme éclairé, favorable aux réformes, qui permette à l'État de répondre aux réalités nouvelles par le relèvement progressif du statut juridique et social du Tiers-État, parallèlement à la réduction graduelle des privilèges dont jouissaient le clergé et la noblesse.

Anne Robert Jacques Turgot (1727 - 1781). Appelé comme ministre des Finances par Louis XVI, il tenta de redresser la catastrophique situation financière de la France en réduisant les privilèges du clergé et de la noblesse, dont il s'attira ainsi les foudres, ce qui aboutit à son renvoi en mai 1776.

Source Internet [7]

A cet effet, Turgot promulgua des édits visant une vaste réforme de l'administration qui consistait à supprimer les droits de douane intérieurs, les corvées et les corporations. En outre, ce courageux ministre suggéra de créer, en contrepoids aux Parlements, des administrations provinciales au sein desquelles le Tiers-État détiendrait autant de voix que les deux autres ordres réunis. Ces tentatives d'abolition des privilèges, initiées au profit d'un Tiers-État émergent et dans l'intérêt réel de la Couronne, provoquèrent l'opposition des privilégiés, qui culmina finalement dans une "pré-révolution" réactionnaire dirigée contre la politique de réformes du gouvernement, aboutissant au renvoi de Turgot [8] en 1776 et à une réduction fatale des réformes entreprises. Car Necker, le successeur de Turgot, n'osa plus engager des mesures aussi radicales, bien qu'étant lui aussi en faveur de réformes; il tenta seulement d'assainir la catastrophique situation financière de l'État en initiant une politique d'emprunts et de restriction des dépenses.

Mais Necker fut renvoyé à son tour en 1781; sa politique de réformes, pourtant modérée, avait elle aussi été la cible des privilégiés, qui avaient trouvé un certain appui en la personne frivole et dépensière de la reine Marie-Antoinette, fille de Marie-Thérèse d'Autriche. Calonne, son successeur de 1783 à 1787, pratiqua alors une politique fiscale audacieuse visant à rétablir la confiance publique dans la solvabilité de l'État et à redresser la catastrophique situation financière. Mais cette politique se solda bientôt par un tel échec que Calonne [9] convoqua en 1787 une assemblée de notables composée de privilégiés, afin de faire entériner sa politique, après avoir ouvertement dévoilé la situation réelle dans laquelle se trouvait la France aux représentants des ordres frappés de consternation.

L'Assemblée des Notables. L'assemblée de membres représentatifs des trois ordres du royaume de France, auxquels les rois demandaient avis dans certains cas, portait le nom d'"Assemblée des notables". Cette caricature montre celle de 1787, où le singe demandait à la basse-cour à quelle sauce elle voulait être mangée.

Source Internet [10]

Mais ce fut tout le contraire qui se produisit, car pour empêcher d'efficientes réformes comme celles que Calonne proposait aussi à présent, les notables s'opposèrent au ministre et provoquèrent son renvoi. L'un d'entre eux, Brienne, tenta de remédier à la crise d'État dans l'intérêt des privilégiés, lors de l'assemblée des notables de 1787/88. Mais ces tentatives finirent aussi par échouer, de sorte que Louis XVI se décida à rappeler le très populaire Necker [11] au poste de ministre. Celui-ci obtint du roi la convocation des États-Généraux; son objectif était de trouver une issue à la crise d'État en faisant approuver par les États-Généraux une importante levée fiscale exceptionnelle destinée à couvrir les dettes de l'État. C'est cette décision gouvernementale qui a, comme on le sait, déclenché les événements de la Révolution Française.