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'Annexe: Bien plus criarde: la presse populaire en Angleterre'
 
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Annexe: Bien plus criarde: la presse populaire en Angleterre

La quantité des journaux en Grande-Bretagne est énorme, ce qui est dû à un lectorat habitué à lire régulièrement au moins un quotidien par jour. Dans beaucoup de cas, il s'agit d'un journal populaire qui est vendu au numéro, comme en France et en Allemagne, mais qui est encore plus tape-à-l'œil, plus criard, plus sensationnel et plus attaquant que les journaux populaires français ou allemands (cf. fig. 10). Comme nous avons déjà vu dans la deuxième partie, les systèmes politiques influencent la presse. Cela est aussi valable pour la Grande-Bretagne. Le système politique britannique est celui d'une démocratie bien établie. La tradition libérale y est bien ancrée depuis des siècles; les interventions de l'Etat dans l'économie (y compris les médias) ne jouent presque aucun rôle ou, en plus clair, elles sont réduites au strict minimum. (On constate donc un contraste avec les traditions plus ou moins "colbertistes" et l'interdépendance Etat - économie qui règnent en France.) La presse ne reçoit aucune subvention de l'Etat; elle est complètement indépendante. Par conséquent, les journalistes ne doivent pas se restreindre à l'égard des thèmes qu'ils abordent: ils font de véritables campagnes pour ou contre une décision politique, un membre du gouvernement, le "New Labour", etc., et ils prennent ainsi part activement à la vie politique du pays (72). - Le portage à domicile (sans abonnement d'ailleurs) contribue également à la fidélisation des lecteurs; il s'agit d'un mode de distribution qui est assez répandu en Grande-Bretagne (73).

Les quotidiens de la presse populaire anglaise sont presque tous des journaux nationaux, ce qui est naturel en raison de la capitale de Londres. Les plus grands journaux populaires sont THE SUN, DAILY STAR, DAILY MAIL, DAILY MIRROR et DAILY EXPRESS. THE SUN and DAILY MIRROR comptent parmi les journaux les plus connus au monde. THE SUN a été racheté par Rupert Murdoch en 1969. Depuis lors, son journal a multiplié ses chiffres d'affaires et de diffusion qui n'étaient que de 800.000 à l'époque (74). Le DAILY MIRROR, fondé en 1903, a été décrit par Sylvester Bolam, éditeur du DAILY MIRROR de 1948 à 1953, de la façon suivante:

    
"The Mirror is a sensational newspaper. We make no apology for that. We believe in the sensational presentation of news and views, especially important news and views... Sensationalism does not mean distorting the truth... It means big headlines, vigorous writing, simplifications into familiar everyday language, and the wide use of illustration by cartoon and photograph." (75)

Cette description du DAILY MIRROR est valable pour tous les journaux populaires anglais. La presse populaire est certainement un des instruments les plus puissants de critique et de contrôle institutionnel, quoiqu'elle ait perdu une partie de son lectorat après la mort de la princesse Diana en 1997 (76).

Face à la presse populaire qu'on désigne comme "tabloids" (format) ou comme "red tops" (noms et titres de la une souvent incrustés sur fond rouge), les journaux traditionnels à grandes pages ("broadsheets", "quality papers") ne viennent qu'au second rang en Grande-Bretagne. Mais leur diffusion est quand même bien plus importante que celle des grands titres prestigieux en France (LE MONDE, LE FIGARO) ou en Allemagne (SZ, FAZ, ...), voir les fig. 3, 4 et 5. THE DAILY TELEGRAPH vend plus de 900.000 exemplaires par jour, et THE TIMES (qui est passé, comme THE SUN, dans le giron du groupe News International de Murdoch) est parvenu en 1998 à plus de 700.000 exemplaires quotidiens et en garde encore de nos jours bien plus de 600.000 (77).

Voici les tirages en janvier 2003 (en milliers d'exemplaires):

  • "Quality papers": Daily Telegraph 930; The Times 642; Financial Times 408; The Independent 168.
     
  • "Tabloids": The Sun 3,578 (voir note 74); Daily Mail 2,440; Daily Mirror 2,070; Daily Express 940; Daily Star 835 (Roche 2003, 41).
     

Ce sont des chiffres fabuleux qui ont de quoi faire rêver les éditeurs des quotidiens allemands et français!

Les éditions du dimanche sont également bien mieux vendues (et offrent un éventail politique plus large) qu'en France ou en Allemagne (78).

Fig. 10

Les unes populaires anglaises au-dessous des unes sérieuses anglaises (79)

 

 

 

 

Ajoutons qu'une classification ternaire des quotidiens britanniques commence à être aussi répandue que la classification binaire traditionnelle ("quality papers" vs. "popular papers"). Parmi les tabloïds, les quotidiens visant plus les sujets sérieux et la qualité de leurs informations, tels le DAILY MAIL, constituent le "mid market" (80). Ce niveau intermédiaire d'une "presse populaire de qualité" rappelle le statut auquel aspirent LE PARISIEN et son édition nationale AUJOURD'HUI EN FRANCE.

Il faut noter aussi, en regardant la fig. 10, un certain rapprochement entre la presse populaire et la presse de qualité en Grande-Bretagne (81). Dû à la concurrence acharnée, même les "quality papers" ne dédaignent pas les sujets à sensations quand l'occasion s'y prête (ici, l'affaire Clinton - Lewinsky). Leur langage est quand même plus modéré que celui des tabloïds et leurs titres (fig. 10 ci-dessus) ne sont pas aussi "démesurés" et criards.

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Notes

(72) Un exemple: La campagne menée par le DAILY MIRROR à l'aide d'une liste de signatures renouvelée chaque jour contre la décision du premier ministre Tony Blair pour son ralliement au gouvernement américain du président Bush (guerre contre l'Irak). Voir la TAZ du 23/1/2003, 18. 

(73) "Les deux tiers des détaillants offrent le portage à domicile, par 300.000 livreurs, surtout des adolescents. Environ un quart des nationaux sont livrés et un tiers des provinciaux" (Bertrand 1998, 50). Voir à ce propos aussi la partie 4 de la contribution de Dippon/ Grosse dans: Ernst Ulrich Grosse et Ernst Seibold (directeurs, 2003): Presse française, presse allemande - Études comparatives. Paris (L'Harmattan), p. 165 - 172.

(74) Dans la période décembre 1994 à mars 1995, THE SUN a vendu plus de 4 millions d'exemplaires par jour. Depuis, sa diffusion montre une tendance dégressive: p. ex., 3.709.090 exemplaires de décembre 1997 à mai 1998 (Roche 1998, 19), 3.675.286 de juillet à décembre 1998 (Thérin 1999, 52).

(75) Schmitz 1973, 19. - Traduction: "THE MIRROR est un journal au goût sensationnel. Nous ne demandons pas pardon pour cela. Nous croyons en la présentation sensationnelle des informations et des points de vue, surtout des informations et des points de vue importants... Le sensationnalisme ne veut pas dire qu'on fasse une entorse à la vérité... il signifie qu'on publie des titres énormes, que l'on emploie un style vigoureux, des simplifications qui vont vers la langue familière et un usage très large de la visualisation par les caricatures et les photographies."

(76) "La controverse sur le rôle des paparazzis dans la mort de Diana a provoqué de surcroît un véritable haut-de-cœur, une sorte de nausée nationale contre les excès du "journalisme de chéquier" auquel cette presse est associée" (Roche 1998, 19). Quant aux autres raisons plutôt structurelles de la baisse de la diffusion des tabloïds britanniques, cf. Roche 1998 et Thérin 1999. Seul le DAILY MAIL, bourré d'informations pratiques, est en hausse depuis plusieurs années. " Cette performance est due principalement à son choix de séduire la classe moyenne en traitant des sujets plus sérieux et moins graveleux" (Thérin 1999, 52). Grâce à cette stratégie, le DAILY MAIL est parvenu à une diffusion 1998 de 2,3 millions d'exemplaires, faisant concurrence au DAILY MIRROR pour la seconde place, THE SUN étant en pole position.

(77) Détails: Roche 1998, 19 et Thérin 1999, 52. - Activités de Murdoch dans la presse britannique: Bertrand 1998,22-24,50 et 97, Le Monde, 17/1/2003,20.

(78) Bertrand 1998, 52; Roche 2002, 19; Roche 2003, 21.

(79) Zeitung zum Sonntag, 20/9/1998, 43.

(80) Voir à ce propos la caractérisation du DAILY MAIL effectuée par le Guide de la Presse 2002, 365.

(81) Cf. Roche 1998, 19.

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