French
German
 
Ajouter au carnet
'L'aménagement français du territoire et l'Union européenne'
 
1 page(s) dans le carnet
 
 
 
 
 

L'aménagement français du territoire et l'Union européenne

A l'expérience de la politique de décentralisation, il semble se confirmer, une fois de plus, que le principe fondateur de la centralisation ne puisse être remis en cause de l'intérieur. La décentralisation a même favorisé paradoxalement une certaine re-centralisation (Neumann / Uterwedde 1997). Cependant, de véritables modifications de fond pourraient intervenir sous la pression de facteurs externes, en premier lieu l'intégration européenne et la mondialisation, comme le manifeste la libéralisation économique. La France est ainsi placée devant une contradiction délicate: d'un côté, elle se veut membre à part entière de l'Union, un des protagonistes même puisqu'elle en est un des fondateurs; elle se soumet à ses lois et a même modifié sa Constitution pour cela. Mais d'un autre côté, l'intégration d'un Etat unitaire à un ensemble (con)fédéral encore en construction est source de contradictions et pose un problème d'acceptation. 

 D'un point de vue politico-géographique, il est intéressant d'observer que l'aménagement du territoire "à la française" s'oppose à "l'européanisation" du territoire français par la forme spécifique de sa régionalisation et par la croissance ininterrompue de la région capitale. La France semble n'être disposée à s'intégrer à l'Union européenne qu'à sa manière propre, c'est-à-dire en tant qu'Etat compacte et unitaire, sans devoir perdre son identité ni sa souveraineté, moins encore pour se fondre dans une "Europe des régions [1] " dirigée par les "technocrates de Bruxelles". En outre, l'Etat a besoin effectivement de régions, mais de régions dotées d'un pouvoir relativement modeste. Il doit en effet s'adapter aux Etats de l'Union européenne les plus fortement régionalisés, ne serait-ce que parce qu'il ne peut bénéficier des programmes de développement de l'UE qu'au seul niveau de la Région. Or, celle-ci est précisément le meilleur rempart contre les attaques de Bruxelles envers l'Etat national. La Région à la française devient donc paradoxalement un instrument contre la régionalisation de la France à l'européenne. Cette évolution ne s'opère surtout pas sous la contrainte. Au contraire, cela se combine avec le principe égalitariste de l'aménagement français du territoire. En fait, cette situation sert l'Etat unitaire et conforte en même temps la France qui, considérée comme un ensemble unitaire et fermé, prend une position inattaquable au sein de l'Union européenne. Ainsi, les gouvernements français n'ont jamais laissé planer le moindre doute quant à la primauté de la Constitution nationale sur les Régions dans toutes les affaires européennes et étrangères. Chaque négociation importante avec l'Union européenne est conduite au niveau national - même si Bruxelles préfère avoir les Régions comme interlocuteurs directs (Mazey 1994, p.133). Lorsqu'il s'agit de négocier des fonds communautaires pour une région, c'est le Préfet qui en est le protagoniste en raison de sa connaissance approfondie des dossiers et de sa plus grande expérience. Par ailleurs, par les fonds de développement européens et leur intégration dans les contrats de plan Etat-Région déjà évoqués, l'Etat français fait pression sur les Régions (Balme / Jouve 1995). Dans ce processus, il convient de ne pas négliger l'importance du cumul des mandats, toujours en vigueur, même si elle tend à diminuer: bien des notables cherchent à défendre non seulement les intérêts locaux, mais aussi - et parfois surtout - ceux de leur carrière nationale. 

Fig. 15

Le supermaire intercommunal

 

 

 

 

 

 

 

 

Source Internet [2]

De surcroît, l'Etat français a réagi à la régionalisation croissante de la politique communautaire par la promulgation de deux lois sur l'aménagement du territoire en 1992 et 1995 (Loi... 1992 [3] , Loi... 1995 [4] ), à peu de choses près contemporaines - coïncidence ou non - du traité de Maastricht. Entre autres dispositions, on a étendu la compétence du Préfet de Région en lui donnant autorité sur le Préfet de Département et le pouvoir de décision en dernier ressort en matière de plan régional. Finalement, tout cela revient à déconcentrer en renforçant la présence de l'Etat au niveau régional, tout en ayant l'air très habilement, de l'extérieur, de s'adapter par la décentralisation aux structures fondamentales de l'Union européenne.

De même, le processus permanent de concentration en Ile-de-France peut être interprété de manière ambivalente au regard de l'intégration européenne. Non seulement cette situation s'oppose à la philosophie égalitaire de l'aménagement du territoire, mais il s'agit d'un processus sciemment entretenu et encouragé par des intérêts politiques, et non pas uniquement d'un mouvement spontané. Cela traduit à nouveau le dilemme classique entre deux impératifs contradictoires: ne pas rompre la dynamique de l'Ile-de-France et en même temps devoir la ralentir afin de respecter l'exigence d'équilibre territorial (Madiot 1996, p. 127). Ainsi, la loi de 1995 sur l'aménagement du territoire ordonne de prendre les "moyens cohérents à mettre en oeuvre pour renforcer la position de Paris comme métropole européenne, conforter le rayonnement international de la région Ile-de-France et assurer son développement qualitatif tout en maîtrisant sa croissance quantitative" (Art. 39). En dépit de leurs intérêts propres et divergents, l'Etat, la Région Ile-de-France et la Ville de Paris se retrouvent sur leur volonté commune de valoriser au maximum le territoire français en faisant de Paris une métropole économique de l'Europe, surpassant Londres en tant que capitale économique (Robert 1994, p. 117).

Extrait de la Loi d'orientation n 95-115 du 4 février 1995 pour l'aménagement et le développement du territoire (Loi Pasqua), Article 39:
Le schéma national d'aménagement et de développement du territoire et le schéma directeur de la région d'Ile-de-France précisent les moyens cohérents à mettre en oeuvre pour renforcer la position de Paris comme métropole européenne, conforter le rayonnement international de la région d'Ile-de-France et assurer son développement qualitatif tout en maîtrisant sa croissance quantitative. 

Sur ce point, on ne peut séparer la dynamique interne et les efforts volontaires pour la revalorisation de Paris. Citons en exemple de cette politique volontariste les constructions magistrales issues de la volonté de Présidents de la République Centre Pompidou [5] , Opéra-Bastille [6] , Grande Arche de la Défense [7] etc. pour imprimer leur marque au centre du pouvoir, dans la meilleure tradition royale et napoléonienne. En revanche, cette hypertrophie parisienne engendre des effets pervers: saturation chronique des transports ou excessive concentration de population dans les quartiers périphériques avec de sérieux problèmes sociaux (cf. les "banlieues"). Cette situation est illustrée par le fait qu'en 1991, l'Ile-de-France réunissait environ 19 % des Français, mais concentrait 31 % des investissements de l'Etat (INSEE 1995). La densité des infrastructures [8] de transport y a pour corollaire inévitable des flux d'immigration supérieurs à la moyenne.

Fig. 16/17

Réseau autoroutier et ferroviaire en Ile-de-France

Source Internet (Fig. 16)
Source Internet (Fig. 17) [9]

La réalisation prioritaire de l'interconnexion des réseaux de transport dans l'agglomération parisienne relève également de ce cercle vicieux. Dans le domaine du transport aérien, on doit se demander cependant si la réalisation, près de Chaulnes [10] à seulement une vingtaine de minutes de TGV de Paris, d'un troisième aéroport international en plus de ceux de Roissy-CDG et d'Orly est vraiment nécessaire. C'est d'ailleurs la réflexion que s'est faite le nouveau gouvernement français, formé en mai 2002, puisqu'il semble avoir renoncé à ce projet très contesté, mais fortement encouragé par son prédécesseur. Néanmoins, pour justifier l'implantation du premier hub d'Europe aux marges de la région parisienne, il fallait bien admettre qu'aucun aéroport de province ne puisse rivaliser avec les aéroports de Paris en matière d'interconnexion avec les réseaux autoroutiers et ferroviaire à grande vitesse. A cela s'ajoute la crainte, répandue, de la marginalité du territoire français par rapport à la dorsale medio-européenne (cf. DATAR 1990 f). Il y a encore seulement une quinzaine d'années, avant l'effondrement du Rideau de fer, de grands espoirs étaient en effet placés dans le développement de l´ "l'Arc Atlantique [11] " qualifié de "nouvelle centralité de l'Europe". On doit toutefois observer que cette crainte fournit des arguments supplémentaires pour faire de la capitale française une métropole européenne et mondiale (vgl. Pitte 1997, S.95 u. Damette / Scheibling1995, S.158).

Fig. 18/19

Arc Atlantique et dorsale medio-européenne - des axes économiques européens concurrents?

Source Internet [12] (Fig. 18)
Source Internet [13] (Fig. 19)

Sur ce point, la France est prise en tenailles entre ses ambitions européennes et l'héritage de cette situation. Le centralisme a pour effet que ne peut se développer à l'ombre de Paris aucune armature urbaine capable de contrebalancer la capitale comme c'est le cas en Allemagne ou en Italie, et susceptible de s'intégrer dans un réseau urbain européen équilibré. Pour "faire le poids" face à une telle lacune, la France doit alors, pour s'imposer, jeter dans la balance son impressionnant espace métropolitain parisien. "... le rééquilibrage urbain est resté faible, ce qui oblige à s'appuyer par trop sur Paris pour être présent en Europe et dans le monde. Nous sommes ainsi devant un véritable cercle vicieux" (Balligand / Maquart 1990, p. 37).

En outre, bien que concentrant la quasi-totalité des sièges sociaux des grandes entreprises françaises et étrangères du pays, l'attraction de Paris est considérée, de l'avis général, comme inférieure à celle de ses concurrents que sont Londres ou Bruxelles pour s'y implanter. Il s'ensuit la nécessité de renforcer la position de la région capitale, en premier lieu dans le cadre de la mondialisation et au regard de l'attraction croissante des métropoles mondiales (Damette / Scheibling1995, p. 240). C'est le processus de "métropolisation" parisienne pour ériger la capitale française en place internationale de premier niveau (Robert, 1996). Souvenons-nous des efforts du gouvernement français pour recevoir l'implantation de la Banque centrale européenne.

Autour de l'agglomération capitale, le Bassin parisien a déjà profité de longue date des retombées de l'attractivité francilienne. D'ailleurs, on estime aujourd'hui que, pour atteindre le niveau européen, la région parisienne devrait réunir 20 millions d'habitants, autrement dit un tiers de la population française pour alimenter une dynamique suffisamment puissante. En outre, les investissements massifs au profit des infrastructures franciliennes traduisent la volonté stratégique de faire de l'espace parisien un instrument de la politique visant à consolider la position de la France en Europe. En fin de compte, le sous-développement de l'armature urbaine de la France, conséquence de la centralisation, devient l'aiguillon du dynamisme de la région capitale, ou même du Bassin parisien. Jacqueline Beaujeu-Garnier disait déjà dans les années 1970 que Paris avait créé un vide urbain autour de lui. Ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. Ce vide a bien été comblé, mais par les seules retombées du dynamisme parisien au profit des villes périphériques du Bassin, et en affaiblissant encore davantage leur autonomie. Il n'en reste pas moins qu'en renforçant de la sorte la structure urbaine et celle des infrastructures de transport, le risque est réel de voir s'éloigner les possibilités d'un aménagement équilibré du territoire européen. Dans ces conditions, vouloir remettre en cause ce déséquilibre territorial, en remédiant à l'hypertrophie parisienne, et militer en faveur d'un modèle équilibré en matière d'armature urbaine et de réseaux de transport, revient à méconnaître la dynamique propre du centralisme.