French
German
 
Ajouter au carnet
'Une nouvelle Renaissance ?'
 
1 page(s) dans le carnet
 
 
 
 
 

Vous êtes ici: Deuframat > ... > Une nouvelle Renaissance ?

Une nouvelle Renaissance?

A bien des égards, la force vive de l’Europe a émigré hors d’Europe. L’Europe géo-politique est devenue une province.Durant ces dernières décennies, l’Europe a perdu de son importance dans les domaines scientifique, technique et culturel. Politiquement et militairement, elle s’est montré incapable de résoudre par sa propre force ses problèmes dans les Balkans. Bien plus que la guerre en Irak, le conflit en Yougoslavie, qui n’aurait pas été soluble sans l’aide militaire des USA, a révélé les faiblesses politiques de l’Europe.

Le passage du Moyen-Age à la Renaissance est bien mis en relief dans cette représentation célèbre : Le chercheur curieux rompt avec l’ancien système pédagogique du Moyen-Age, et découvre au-delà de l’horizon un nouveau monde inconnu !

Colorierter Holzschnitt des Astronomen
Camille Flammarion [1] , 1882 Source Internet [2]

 

Si l’Europe veut repasser de l’état de province à celui d’un centre – et ainsi disposer à nouveau d’une plus forte influence sur les effets de son propre héritage culturel –, elle devra s'efforcer de se renouveler. Habermas et Derrida ont en cela raison, même si leur concrétisation politique ne va pas assez loin. La notion de renouvellement de l’Europe est très ancienne et les défis qui s’y rattachent vont très loin. Morin en appelle à ce que les Européens aspirent à une "deuxième Renaissance", qui associe le renouvellement de la culture à celui de la politique. D’après Morin, il y a deux directions dans lesquelles nous devons aller, afin de rendre cette deuxième Renaissance possible : ouverture et mémoire. Les deux sont étroitement liés : "Nous devons nous enraciner à nouveau en Europe, pour nous ouvrir au monde, de la même façon que nous devons nous ouvrir au monde, pour nous enraciner en Europe" (Morin 1988 :202). Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?

Ouverture  : En dépit de toute diversité au sein de l’Europe, les sociétés européennes sont manifestement très repliées sur elles-mêmes. Beaucoup plus que les grandes villes européennes, ce sont aujourd’hui les grandes villes américaines qui servent de laboratoires pour une forme de vie globalisée, comme microcosmes dans lesquels différence et dialogique sont vécus et éprouvés, avec toutes les difficultés et tous les conflits que cela suppose ; et ce sont les universités et les laboratoires de recherche américains qui sont devenus des centres de pensée globaux et qui attirent des intellectuels du monde entier. "Nous devons assimiler de nouveau des influences extérieures, afin de vivre un nouvel essor" (Morin 1988 :202).

Edgar Morin attend des Européens qu'ils aspirent à une forme de "deuxième Renaissance" associant le renouvellement de la culture à celui de la politique.

Source Internet [3]

 

 

 

Il s’agit bien sûr plus que de l’importation de produits de l’industrie culturelle d’Hollywood et d’Extrême-Orient. Mais il ne s’agit pas non plus de la seule réception d’influences extérieures, de voies à sens unique, mais d’une discussion intellectuelle active. L’Europe doit mettre à profit et élargir sa propre diversité, afin de se considérer comme un domaine expérimental pour une culture globale de la liberté et de la différence, dans laquelle l’héritage européen continue à vivre. Mais il s’agit aussi de questions pratiques d’une politique culturelle européenne active, de traductions et d’invitations, d’une politique d’immigration ciblée et d’une internationalisation de l’enseignement, de nouvelles impulsions pour le débat intellectuel global. Un exemple : ce n’est qu’après les attentats du 11 septembre [4] que nous avons remarqué qu’il n’existe pratiquement pas d’échanges intellectuels arabo-européens. Un deuxième exemple : ce n’est pas le résultat d’une hégémonie américaine, mais d’un provincialisme de l’Europe occidentale, si ce sont des initiatives, des sponsors et des conseillers américains qui ont participé à la reconstruction d’une éducation politique démocratique en Europe de l’Est après 1989, par exemple en soutenant le développement de programmes d'enseignement et de manuels scolaires.

Edgar Morin, né en 1919, est Directeur émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il est l’un des plus éminents penseurs français du temps présent. Partisan communiste pendant la Résistance, Morin, fut exclu du PCF pour anti-stalinisme en 1951. Morin fut le cofondateur du Comité contre la guerre d’Algérie et de la revue "Arguments". Les œuvres de Morin sont disponibles en de nombreuses langues. Parmi ses publications les plus importantes se trouve l’ouvrage essentiel de sociologie "La Méthode" (1977 – 1991). Son œuvre " Terre-Patrie" traite des conditions de vie sur notre planète, tente de les expliquer et met en lumière les ressources permettant de les améliorer.

Source Internet : galilei.free.fr/Morin/ (inactive, 18.01.2005)

 

Mémoire : sauver le passé pour que l’avenir puisse être sauvé" (Morin 1988 :201). La mémoire des expériences communes, des catastrophes subies, des racines culturelles remontant à l’Antiquité, peut renforcer les réponses sans lesquelles l’avenir de l’Europe est mis en danger : une culture de la différence, la raison critique, la démocratie et la liberté politique. Une telle mémoire est particulièrement nécessaire dans une période de transition, et c’est justement dans une telle période que se trouve l’Europe, au commencement du 21ème siècle. Le clivage Est-Ouest du continent est révolu, mais un retour à l’époque précédente, celle du monde des Etats nationaux souverains, n’est pas possible, en tout cas pas à un prix acceptable. Plus encore : l’époque qui avait fait de l’Europe, jusqu’au désastre de la Seconde Guerre mondiale, un global player dominant, qui va de la Renaissance à la société industrielle, les "temps modernes" ou "l'époque moderne classique", touche à sa fin. 

Mais peut-être la "deuxième Renaissance" est-elle depuis longtemps en marche. Cette dernière est devenue depuis quelque temps, dans le contexte du débat sur les médias numériques, une notion répandue, parce que les nouveaux médias sont des outils universels qui relient entre eux d’une nouvelle manière technique et art, production et communication, efficacité et créativité, et parce qu’ils influencent autant la construction de la réalité que l’invention de l’imprimerie au temps de la Renaissance. Dans la théorie de la connaissance, dans de nombreuses sciences et entre temps jusqu’au sein des débats intellectuels publics, une vision du monde s’est propagée avec le constructivisme, qui se différencie fondamentalement de l’image du monde que les sciences physiques et naturelles ont forgée, de la Renaissance jusqu’à la société industrielle. Maintenant, la réalité n’apparaît plus comme un pendant objectif de l’homme perceptible à l’aide de la raison, toujours mieux et plus sûrement connu avec les moyens de la science.

Tête de mort ou femme au miroir? Le débat sur le constructivisme part du principe "que nous ne pouvons parler du monde extérieur que dans le cadre de nos interprétations de ce monde, que nous ne connaissons donc que l'image que notre cerveau construit à partir des impressions sensorielles, et que ces constructions diffèrent selon les êtres vivants et en outre, chez les êtres humains, selon les cultures et les individus, mais qu'elles ne concordent jamais avec la réalité en tant que telle." (cf. texte)

Source Internet [5]

Au contraire, le constructivisme [6] part du principe que nous ne pouvons parler du monde extérieur que dans le cadre de nos interprétations de ce monde, que nous ne connaissons donc que l’image que notre cerveau construit à partir des impressions sensorielles – et que ces constructions diffèrent selon les différents êtres vivants et en outre, chez les êtres humains, selon les cultures et les individus, mais qu'elles ne concordent jamais avec la réalité en tant que telle. (En marge, nous noterons que le concept de constructivisme n’est pas très heureux, parce qu’il suggère à tort l'idée d' "arbitraire", associée à celle de "construction" ce qui n’est cependant pas nécessairement le cas ; de plus, "le constructivisme" n’est pas une théorie fermée, mais plutôt un mode de pensée, un "filtre" intellectuel à travers lequel le monde nous apparaît autrement).

Dans les dernières décennies, le constructivisme a gagné en popularité, en particulier aussi dans les sciences humaines et sociales, avant tout grâce aux connaissances acquises en neurobiologie, en théorie de l’évolution et en psychologie. Mais au fond, le mode de pensée constructiviste a son point de départ déjà au début du 20e siècle dans la physique des quanta, et il est intéressant de constater ses répercussions à long terme, jusqu'aux jours d'aujourd'hui, dans ce qu'il a de provocant pour notre vision quotidienne du monde.

On peut aisément comparer cela avec les résistances culturelles auxquelles la vision du monde de Copernic [7] et de Galilée se heurta, à la différence près qu’aujourd’hui, en tant que physicien des quanta, on n’a plus à craindre le bûcher. L’historien scientifique Ernst Peter Fischer [8] exprime la provocation de la physique des quanta de la façon suivante : nous ne devrions plus nous représenter les propriétés de la matière, au niveau des particules élémentaires, de telle sorte "que des choses agissent sur la scène atomique. Ce sont bien plutôt des créations de notre imagination qui entrent en scène" (Fischer 2002, 397 f.). Le physicien des quanta Anton Zeilinger [9] en tire une conséquence radicale : "Réalité et information ne font qu’un" (Zeilinger 2003, 229). C’est la raison pour laquelle "il ne sera jamais possible, avec nos questions, de pénétrer au cœur des choses. Bien au contraire, on peut se demander à juste titre si un tel cœur des choses indépendant de l’information existe vraiment" (Zeilinger 2003. 230).

Dans Politeia, Platon débat de la possibilité d’un ordre étatique idéal. A la question si et comment les hommes peuvent être instruits, il répond par la célèbre allégorie de la caverne. Le message central de cette allégorie est que le monde des idées est la vraie réalité, et que le monde extérieur qui nous apparaît à travers nos sens ne représente que les ombres de ces idées.
(L’illustration montre l'allégorie de la caverne dans une représentation de Posul)

Source Internet [10]

Il est évident que les sciences physiques et naturelles modernes en sont ainsi revenues à la philosophie et à ses racines dans l’Antiquité. Le fait que l’être humain ne connaisse pas le réel, mais uniquement des avis sur le réel, était déjà un thème de la philosophie grecque, et Gorgias [11] , au 5e siècle avant Jésus-Christ, avait déjà semé le doute, fondé sur la raison, de la perception possible du monde. Le fait de parler d’une nouvelle ou d’une deuxième Renaissance paraît contestable, car l’histoire ne se répète pas. Mais tout comme à l'époque de la Renaissance européenne, aux 14e et 15e siècles, la vision des hommes et du monde connaît aujourd'hui une période de mutations, qui va réorganiser les systèmes du savoir. Ainsi, les ponts vers l’Antiquité seront assainis ou reconstruits.