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'La renaissance de l'Europe'
 
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La renaissance de l'Europe

Remarque préliminaire de Jacques Derrida:
Nous avons à cœur, Jürgen Habermas et moi-même, de signer en commun cette analyse qui est en même temps un appel. Nous considérons qu'il est aujourd'hui nécessaire et urgent que, mettant de côté les différends qui ont pu les opposer par le passé, des philosophes français et allemands s'expriment ensemble. Ce texte, on s'en apercevra facilement, a été rédigé par Jürgen Habermas. Pour des raisons personnelles, je ne pouvais moi-même écrire un propre texte, bien que je l'eus volontiers fait. J'ai cependant proposé à Jürgen Habermas de signer avec lui cet appel. J'en partage les prémices et perspectives normatives: la définition de responsabilités politiques au-delà de tout eurocentrisme, l'appel à une confirmation renouvelée et une modification efficace du droit international et de ses institutions, notamment des Nations Unies, une nouvelle conception et une nouvelle pratique de la répartition des pouvoirs étatiques etc. dans un esprit, voir même dans un sens, reprenant la tradition kantienne. D'ailleurs, les remarques de Jürgen Habermas recoupent en de nombreux points les réflexions que j'ai élaborées récemment dans mon livre "Voyous [1] - Deux Essais sur la raison" (Galilée 2002). Dans quelques jours va paraître aux Etats-Unis un ouvrage de Jürgen Habermas et moi-même contenant deux interviews que chacun de nous a données à New York après le 11 septembre 2002. Jacques Derrida

Il y a deux dates que nous ne devons pas oublier: le jour où les journaux ont fait part à leurs lecteurs ébahis de la déclaration de loyauté envers Bush à laquelle le premier ministre espagnol avait invité, derrière le dos des autres collègues européens, les gouvernements favorables à la guerre; et le 15 février 2003, jour où les masses de manifestants à Londres et à Rome, Madrid et Barcelone, Berlin et Paris réagirent à ce coup de main. La simultanéité de ces manifestations - les plus grandes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale - pourrait bien, rétrospectivement, entrer dans les livres d'histoire comme signal de la naissance d'une opinion publique européenne.

Pendant les mois de plomb qui avaient précédé le déclenchement de la guerre en Iraq, un partage des tâches moralement obscène avait fait grandir les émotions. La grande opération logistique de l'implacable marche militaire et l'activité hectique des organisations d'aide humanitaire se complétaient avec une précision parfaite comme les dents d'un rouage. Le spectacle se déroulait impassiblement même sous les yeux de la population qui, privée de toute initiative propre, allait en être la victime. Aucun doute, la puissance des émotions a poussé les citoyens de l'Europe à se lever ensemble. Mais en même temps, la guerre a fait prendre conscience aux Européens de l'échec s'annonçant depuis longtemps déjà de leur politique extérieure commune. Comme partout ailleurs dans le monde, cette transgression désinvolte du droit international public a déclenché en Europe une querelle sur l'avenir de l'ordre international. Mais nous, les arguments diviseurs nous ont touchés plus profondément.

Cette querelle a fait ressortir de façon encore plus nette les lignes de division déjà connues. Les prises de position controversées à propos du rôle de la super-puissance, de l'ordre mondial à venir, de la pertinence du droit international public et de l'ONU ont fait éclater au grand jour les oppositions latentes. Le gouffre entre les pays continentaux et anglo-saxons, la "vieille Europe", d'un côté et les candidats d'Europe centrale de l'autre s'est approfondi. En Grande-Bretagne, la special relationship avec les Etats-Unis est loin de faire l'unanimité, mais elle continue d'être toute en haut de la liste de préférence de Downing Street [2] . Et les pays d'Europe centrale veulent certes entrer dans l'Union européenne, sans cependant être prêts à voir restreindre leur souveraineté fraîchement acquise. La crise iraquienne n'a été que le catalyseur. Dans la Convention constitutionnelle de Bruxelles, on observe également l'opposition entre les nations souhaitant véritablement un approfondissement de l'Union européenne et celles qui ont un intérêt tout à fait compréhensible à voir le mode actuel de gouvernement intergouvernemental figé ou au plus faire l'objet de quelques retouches d'ordre cosmétique. Désormais, on ne peut feindre plus longtemps d'ignorer cette opposition.

Le traité de Nice [3] a créé des conditions fondamentales pour l'élargissement de l'Union européenne. Il s'agissait entre autres d'améliorer la capacité de décision des différents organes.

Source Internet : europa.eu.int/comm/mediatheque/photo/select/treaty_en.html (26.01.2005)

Du fait de la future Constitution, nous aurons un ministre européen des affaires étrangères. Mais à quoi sert un nouveau poste tant que les gouvernements ne sont pas d'accord sur la politique commune? Un Fischer [4] avec un autre titre officiel serait tout aussi impuissant que Javier Solana [5] . Pour le moment, seuls les membres du "noyau européen" sont prêts à accorder à l'Union européenne certaines qualités. Que faire si seuls ces pays arrivent à se mettre d'accord sur une définition des "intérêts propres"? Si l'on ne veut pas que l'Europe s'effondre, ces pays doivent utiliser maintenant le mécanisme de "coopération renfoncée" mis en place à Nice [6] afin d'entamer une politique commune extérieure, de sécurité et de défense dans une "Europe à différentes vitesses". Il en résultera un effet d'aspiration auquel les autres membres, du moins dans la zone euro, ne pourront se dérober pour une durée illimitée. Dans le cadre de la future Constitution européenne, il ne doit et ne peut y avoir de séparatisme. Avancer ne signifie pas exclure. Le noyau européen [7] avant-gardiste ne doit pas se solidifier en une petite Europe; il doit, comme si souvent, jouer le rôle de locomotive. Les Etats membres qui coopèrent entre eux plus étroitement laisseront les portes ouvertes, ne serait-ce déjà que dans leur propre intérêt. Les invités entreront par ces portes d'autant plus tôt que le noyau européen deviendra capable de mener une politique extérieure commune et prouvera que dans une communauté mondiale complexe, il n'y a pas que les divisions qui comptent, mais aussi la puissance plus douce des agences de négociation, des relations et des intérêts économiques.

Après l'échec du sommet de l'Union européenne de 2003, la France et l'Allemagne ont menacé (ou appâté) en proposant une "Europe à deux vitesses" et un "noyau européen" comme remède miracle contre l'enlisement des réformes et le durcissement de positions. Depuis, notamment le terme de noyau européen (= axe France-Allemagne) est considéré d'un œil très soupçonneux.

Source Internet [8]

Dans ce monde, réduire la politique à l'alternative "la guerre ou la paix" aussi idiote que coûteuse n'avance à rien. L'Europe doit peser de tout son poids dans la balance internationale et de l'ONU afin de contre-balancer l'unilatéralisme hégémonique des Etats-Unis. Il faudrait que, lors de sommets économiques mondiaux et dans les institutions de l'Organisation mondiale du commerce (OMC [9] ), de la Banque mondiale [10] et du Fonds monétaire international (FMI [11] ), elle fasse valoir son influence en ce qui concerne l'élaboration du design de la future politique intérieure mondiale.

La politique d'élargissement de l'Union européenne se heurte cependant aujourd'hui aux limites du pilotage par des moyens administratifs. Jusqu'à présent, les impératifs fonctionnels de la création d'un espace commun économique et monétaire avaient fait avancer les réformes. Ces forces motrices sont épuisées. Une politique modelante nécessitant de la part des Etats membres non seulement l'élimination des obstacles à la concurrence, mais aussi une volonté commune dépend des motivations et de la position des citoyens eux-mêmes. Les décisions prises à la majorité concernant la mise en place d'aiguillages ayant d'importantes conséquences en politique extérieure ne peuvent espérer être acceptées que si les minorités s'en montrent solidaires. Cela présuppose cependant un sentiment d'appartenance politique commune. Les peuples doivent en quelque sorte "accroître" leurs identités nationales et y ajouter une dimension européenne. La solidarité nationale, aujourd'hui déjà plutôt abstraite, qui se limite aux membres de la propre nation doit à l'avenir être étendue aux citoyens d'autres nations européennes.

Ce qui nous amène à la question de l'"identité européenne". Seules la conscience d'un destin politique commun et la perspective convaincante pour un avenir commun pourraient empêcher des minorités de faire obstruction à la volonté de la majorité. Fondamentalement, les citoyens d'une nation doivent considérer la citoyenne d'une autre nation comme "l'une des nôtres". Ce desiderata conduit à la question qui soulève tant de scepticismes: y a-t-il un vécu, des traditions et acquis historiques qui créent chez les Européens la conscience d'une destinée politique éprouvée ensemble et à modeler ensemble? Une "vision" attirante, voire contagieuse, d'une future Europe ne tombe pas du ciel. Aujourd'hui elle ne peut que naître d'un sentiment inquiétant de désarroi. Mais elle peut aussi résulter de l'embarras d'une situation dans laquelle nous autres Européens sommes renvoyés à nous-mêmes. Et elle doit s'articuler dans la cacophonie endiablée d'une opinion publique ayant de nombreuses voix. Si le sujet n'est même pas encore à l'ordre du jour, alors nous, les intellectuels, nous avons échoué.

La connaissance de l'héritage culturel de l'Antiquité en tant que "Ancienne Histoire" de (presque) tous les Etats européens et liée à cela la compréhension profonde de l'enracinement historique du concept moderne des Droits de l'Homme donnent sans cesse un nouvel élan au débat actuel sur une identité européenne.

Source Internet [12]

Il est facile de se mettre d'accord sur ce qui n'engage à rien. Nous rêvons tous de l'image d'une Europe pacifique, coopérative, ouverte aux autres cultures et capable de dialogue. Nous saluons l'Europe qui au cours du XXe siècle a trouvé des solutions exemplaires à deux problèmes. L'UE se présente aujourd'hui déjà comme une forme de "gouvernement au-delà de l'Etat national" qui pourrait faire école dans la constellation postnationale. Les régimes d'Etat social européens ont également pendant longtemps fait office de modèles. Au niveau des Etats nationaux, ils sont aujourd'hui sur le défensive. Mais derrière la mesure du niveau de justice sociale qu'ils ont posée, une future politique de domptage du capitalisme dans des espaces délivrés de frontières ne doit pas reculer. Pourquoi l'Europe ne pourrait-elle pas, elle qui a réussi à venir à bout de deux problèmes de cette taille, aussi relever le défi de défendre et développer un ordre cosmopolite basé sur le droit international public contre des projets concurrents?

Un discours fomenté dans toute l'Europe devrait bien sûr "rencontrer" des dispositions existantes qui en quelque sorte sont dans l'attente d'un processus stimulant d'autocompréhension. Deux faits semblent contredire cette audacieuse hypothèse: les principaux acquis historiques européens n'ont-ils pas perdu de leur force créatrice d'identité justement du fait de leur succès mondial? Et qu'est-ce qui doit unir une région qui, comme aucune autre, se caractérise par la rivalité continue entre des nations fières?

Du fait que la chrétienté et le capitalisme, la science et la technique, le Droit Romain [13] et le Code Napoléon [14] , le mode de vie urbain-bourgeois, la démocratie et les droits de l'homme, la sécularisation de l'Etat et de la société se sont étendus à d'autres continents, ces acquis se constituent plus une propriété de l'Europe. L'état d'esprit enraciné dans la tradition judéo-chrétienne a certes des traits spécifiques. Mais cet habitus d'esprit, qui se caractérise par l'individualisme, le rationalisme et l'activisme, les nation européennes le partagent également avec celles des Etats-Unis, du Canada et d'Australie. L' "occident" en tant que contour intellectuel englobe davantage que la seule Europe.

De plus, l'Europe est composée d'Etats nationaux qui se délimitent les uns par rapport aux autres de façon polémique. La conscience nationale empreinte par la langue, la littérature nationale et les histoires nationales a longtemps constitué une charge explosive. Certes en réaction à la force destructrice de ce nationalisme on a aussi assisté à la formation de schémas de pensée qui donnent quand même à l'Europe d'aujourd'hui avec sa diversité culturelle incomparable un propre visage du point de vus des non-européens. Une culture qui plus que toute autre a été déchirée depuis des siècles par des conflits entre la ville et la campagne, entre les forces religieuses et séculaires, par la concurrence entre croyance et savoir, par le combat entre dirigeant politiques et classes antagonistes, cette culture a dû apprendre douloureusement comment on peut communiquer des différences, institutionnaliser des oppositions et stabiliser des tensions. Le fait de reconnaître des différences - la reconnaissance réciproque de l'autre dans sa différence - peut, lui aussi, devenir une caractéristique d'une identité commune.

Fonder l'identité européenne dans le cadre de la rencontre Euroscola à Clermont-Ferrand. Le commentaire d'un participant: "Cette action m'a permis de mieux prendre conscience de ce qu'est l'Europe. Malgré la diversité des cultures, j'ai senti une certaine union. Chacun se débrouille comme il peut pour faire passer son idée: un Italien parle en français à une Belge qui traduit en anglais au Norvégien qui va lui-même argumenter et informer les Grecs."

Source Internet [15]

La pacification d'oppositions de classes par l'Etat social et l'autolimitation de la souveraineté étatique dans le cadre de l'UE n'en sont que les exemples les plus récents. Au cours du troisième quart du XXe siècle, l'Europe à l'ouest du rideau de fer a connu, pour reprendre l'expression d'Eric Hobsbawm [16] , son "âge d'or". Depuis lors apparaissent les traits d'une mentalité politique commune qui fait que les autres voient en nous plutôt l'Européen que l'Allemand ou le Français - et ce non seulement à Hong Kong, mais même aussi à Tel-Aviv.

Et c'est vrai: dans les sociétés européennes la sécularisation est relativement avancée. Ici les citoyens regardent les franchissements des limites entre politique et religion avec une certaine suspicion. Les Européen ont une assez grande confiance dans la capacité de l'Etat à organiser et diriger, alors qu'ils sont plutôt sceptiques en ce qui concerne la capacité de fonctionnement du marché. Ils possèdent un profond sens de la "dialectique des Lumières", ne nourrissent pas d'attentes purement optimistes envers le progrès technique. Ils ont une préférence pour les garanties de sécurité de l'Etat social et pour les règles de solidarités. Le seuil de tolérance envers l'exercice de violence contre des personnes est relativement bas. Le souhait d'un ordre international réglé de manière multilatérale et juridique se lie à l'espoir d'une politique intérieure mondiale effective dans le cadre de Nations Unies réformées.

La constellation qui a permis aux Européens de l'Ouest favorisés de développer une telle mentalité dans l'ombre de la Guerre froide s'est désagrégée depuis 1989/90. Le 15 février [17] montre cependant que la mentalité elle-même a survécu au contexte de sa naissance. Cela explique également pourquoi la "vielle Europe" considère l'énergique politique hégémonique de la super-puissance alliée comme une provocation. Et pourquoi autant de personnes en Europe qui saluent le renversement de Saddam kein Link rejettent l'invasion unilatérale préventive tout aussi déroutante qu'insuffisamment fondée. Mais cette mentalité, à quelle point est-elle stable? A-t-elle des racines dans un vécu et des traditions historiques plus profonds?

Nous savons aujourd'hui que de nombreuses traditions politiques avides d'autorité et semblant naturelles ont en fait été "inventées". En revanche, une identité européenne, née en public, aurait dès le départ quelque chose de construit. Mais seule une construction née de l'arbitraire serait entaché de discrétion. La volonté politico-éthique qui s'exprime dans l'herméneutique de processus d'autocompréhension n'est pas de l'arbitraire. La distinction entre l'héritage que nous acceptons et celui que nous voulons refuser exige tout autant de prudence que la décision concernant la lecture de l'histoire que nous utilisons pour nous l'approprier. Le vécu historique ne peut être candidat qu'à une appropriation consciente, car sans elle il ne pourrait avoir de force créatrice d'identité.

"Sous nos latitudes, il est difficile de concevoir un président qui commence sa journée de travail par une prière publique et associe ses décisions politiques lourdes de conséquences avec une mission divine."

Source Internet [18]

Pour terminer, quelques mots-clé concernant de tels "candidats" à la lumière desquels la mentalité européenne d'après-guerre pourrait gagner un profil plus aiguisé. La relation entre l'Etat et l'Eglise dans une Europe moderne a évolué différemment de chaque côté des Pyrénées, au nord et au sud des Alpes, à l'ouest et à l'est du Rhin. La neutralité idéologique de la puissance étatique a pris une forme différente dans chaque pays européen. Mais au sein de la société civile la religion occupe partout une place semblablement apolitique. Même si l'on peut regretter sous d'autres aspects cette privatisation sociale de la croyance, elle a une conséquence souhaitable pour la culture politique. Sous nos latitudes, il est difficile de concevoir un président qui commence sa journée de travail par une prière publique et associe à une mission divine ses décisions politiques lourdes de conséquences.

L'émancipation de la société envers la tutelle d'un régime absolutiste n'a pas été partout en Europe accompagnée de la prise de possession et de la refonte démocratique de l'Etat administratif moderne. Mais le rayonnement idéologique de la Révolution Française dans toute l'Europe explique entre autres pourquoi la politique a ici dans ses deux formes - tant comme moyen d'assurer la liberté que comme puissance d'organisation - une connotation positive. En revanche, l'imposition du capitalisme a été lié à de fortes oppositions entre les classes. Ce souvenir empêche une estimation du marché tout aussi dépourvue de préjugés. Il est possible que l'évaluation différente que les Européens ont du marché renforce leur confiance dans le pouvoir d'organisation civilisant d'un Etat dont ils attendent également qu'il compense l"échec du marché".

Le système de partis issu de la Révolution Française a souvent été copié. Mais il n'y a qu'en Europe qu'il sert aussi une concurrence idéologique qui soumet les conséquences socio-pathologiques de la modernisation capitaliste à une évaluation politique continue. Cela renforce la sensibilité des citoyens aux paradoxes du progrès. La querelle entre les interprétations conservatrice, libérale et socialiste concerne la mise en balance de deux aspects: les pertes accompagnant la désintégration de modes de vie protecteurs traditionnelles sont-elles plus grandes que les gains d'un progrès chimérique? Ou bien les gains que les processus de la destruction créatrice promettent aujourd'hui pour demain l'emportent-ils sur la douleur des perdants de la modernisation?

"Il n'y a qu'en Europe que [le système des partis politique] sert aussi une concurrence idéologique qui soumet les conséquences socio-pathologiques de la modernisation capitaliste à une évaluation politique continue."

Source Internet: www.parties-and-elections.de/beta.html (26.03.2005)

En Europe, les différences de classes, qui ont laissé des traces à long terme, ont été ressenties par les personnes concernées comme un destin qui ne pouvait être évité que par une action collective. C'est ainsi que s'est imposé dans le contexte des mouvements ouvriers et des traditions socio-chrétiennes un ethos du combat pour "une plus grande justice sociale" visant une répartition solidariste et égalitaire contre un ethos individualiste basé sur les performances et qui s'accommode de fortes inégalités sociales.

L'Europe actuelle porte l'empreinte des régimes totalitaires du XXe siècle et de l'Holocaust [19] - la poursuite et l'élimination des Juifs d'Europe dans lesquelles le régime nazi a aussi impliqué les sociétés civiles des pays conquis. Les discussions auto-critiques sur ce passé ont remis en mémoire les bases morales de la politique. La haute sensibilité envers les blessures de l'intégrité morale et physique se reflète entre autres dans le fait que le Conseil de l'Europe et l'UE ont fait du renoncement à la peine de mort une condition d'adhésion.

Un passé belliciste a autrefois entraîné toutes les nations européens dans des combats sanglants. Après la Seconde Guerre mondiale, elles ont tiré les conséquences de l'expérience s de la mobilisation militaire et intellectuelle et élaboré de nouvelles formes supranationales de coopération. Le succès de l'Union Européenne a conforté les Européens dans leur conviction que la domestication de l'exercice étatique du pouvoir exige au niveau mondial également une limitation réciproque de la marge de manœuvre des Etats.

Le drapeau bleu de l'Europe remonte à une initiative du Conseil de l'Europe de 1955. Les Etats-Unis d'Amérique, qui depuis 1776 avaient combattu la domination absolue de l'Angleterre sous le drapeau bleu, blanc et rouge avec des étoiles blanches, ont servi de modèle. Le drapeau européen est un symbole non seulement de l'Union européenne, mais aussi de l'unité et au sens large de l'identité de l'Europe. Le cercle des étoiles d'or symbolise la solidarité et l'harmonie entre les peuples européens. Les nombre des étoiles n'a rien à voir avec le nombre des Etats membres: il y a douze étoiles par ce que le douze est le symbole traditionnel de la perfection, de l'intégralité et de l'unité. Le drapeau reste donc inchangé quel que soit le nombre d'Etats membres.

Source Internet 1 [20] & 2 [21]

Chacune des grandes nations européennes a vécu un âge d'or de l'épanouissement du pouvoir impérialiste et, ce qui dans notre contexte est plus important, a dû "digérer" la perte d'un grand empire. Dans de nombreux cas, à cette expérience de relégation s'ajoute la perte d'un empire colonial. La distance temporelle croissante avec l'époque et l'histoire coloniales a donné aux puissance également la chance d'une distance de réflexion. Elles ont ainsi pu apprendre à s'observer elles-mêmes, du point de vue des vaincus, dans le rôle douteux de vainqueurs qui doivent rendre des comptes concernant la violence d'une modernisation octroyée et déracinante. Il se pourrait que cela ait contribué à un éloignement par rapport à l'eurocentrisme et stimulé l'espoir kantien d'une politique intérieure mondiale.